Gainage versus Mobilité

Jocelyn-William LOUBRIAT

Gainage, gainage, gainage. Abdos, pompes, tractions, renforcement musculaire. Pour certains, la recherche de performance ressemble trop souvent à ça. Nous allons essayer de voir le long des paragraphes suivant, comment ce genre de conduite est contre productive car elle met à l’écart un élément essentiel de notre pratique : la mobilité.

Premièrement, mettons en place quelques notions :

Points d’appuis :
Lorsqu’on souhaite se déplacer, que ce soit à l’horizontale ou à la verticale, nous avons besoin de points d’appuis. Lorsqu’on fait bouger une marionnette, un pantin articulé, le point d’appui se situe dans la ou les mains du marionnettiste. En escalade, lorsqu’on attrape une prise avec une main, le point fixe se situe à ce niveau et le grimpeur doit bouger son corps autour de ce point fixe. « Son corps » cela signifie son membre supérieur qui tient la prise, son tronc, ses membres inférieurs, son membre supérieur opposé, sans oublier la tête : l’ensemble de son corps.
Il est rare qu’on se déplace d’un seul point fixe à un autre, nous avons souvent deux points d’appuis (une main + un pied ou 2 pieds, ou 2 mains), l’idéal étant la recherche de plus de stabilité grâce à 3 points d’appuis ce qui confère également plus d’économie énergétique par une répartition sur les différents membres en appui.

Forces mobilisatrices :
Une fois les points d’appuis définis il faut un système de forces qui va mobiliser les segments libres pour les déplacer vers le point d’appui suivant. Ces forces sont donc transmises d’une extrémité fixe d’un ou plusieurs membres (le ou les points d’appuis) vers un ou plusieurs membres mobiles. Prenons un exemple simple : vous êtes dans un dévers, accroché par vos deux mains, le pied droit en carre externe sur une prise située à gauche. Vous devez retirer ce pied pour venir poser le pied gauche en carre externe sur la prise suivante située à droite. Votre corps doit à ce moment-là mobiliser les membres inférieurs à partir d’appuis situés au niveau des membres supérieurs. Il recrute alors de nombreux muscles,  qui vont travailler ensemble depuis le point fixe jusqu’à l’extrémité du pied à poser. Muscles de l’avant bras pour maintenir la préhension, muscle du bras pour le fléchir ou le maintenir dans sa position, muscles de l’épaule et de l’omoplate pour transmettre les forces au tronc, muscles du tronc pour mobiliser celui-ci dans la bonne direction et permettre aux muscles de la cuisse puis de la jambe et du pied de positionner l’extrémité du chausson précisément sur la prise visée ; cet ensemble de muscles qui se font suite, composent les différents maillons de chaînes cinétiques musculaires. Et dans une chaîne, chaque maillon a sa fonction.

Fonction d’un muscle :
Un muscle possède trois propriétés essentielles :
Contractilité = capacité à se raccourcir par le biais d’une contraction,
Extensibilité = capacité à s’allonger,
Elasticité = capacité à reprendre sa longueur initiale après un allongement.

L’ensemble des maillons des chaînes dont nous avons parlé sont des muscles. Pour que l’ensemble de la chaîne fonctionne de manière optimale, chaque maillon doit fonctionner de manière optimale et donc conserver ses propriétés de contractilité, d’extensibilité et d’élasticité.
Mais comme dans toute chaîne, la compétence de celle-ci dépendra de son maillon le plus faible. Nous avons utilisé le mot compétence de manière volontaire, pour bien vous montrer que cela peut être le cas pour la transmission de la force : à quoi cela sert-il de développer une force importante des membres supérieurs si cette force n’est transmise que très partiellement aux membres inférieurs à cause d’une faiblesse au niveau du tronc ? Mais aussi de l’extensibilité : si vous avez besoin d’aller chercher une prise éloignée, que vous êtes très souple des épaules, mais que le tronc est verrouillé, vous allez devoir déployer plus d’énergie que nécessaire pour atteindre votre but et peut-être même solliciter certaines articulations dans des amplitudes supérieures à la normale pour palier le manque de mobilité d’autres zones.
D’autre part, dans un travail synergique (du grec Synergos = travailler ensemble) il y a cette notion de mise en commun de l’ensemble des compétences, donc si chaque maillon, chaque muscle a une compétence contractile, ainsi qu’une compétence extensible, alors en bout de chaîne la force tout autant que l’extensibilité seront les sommes des compétences de chacun des maillons.

Les exercices classiques de gainage consistent en des contractions isométriques de la ceinture abomino-lombo-pelvienne, c’est-à-dire des contractions simultanées en verrouillage (donc sans mobilisation) de l’ensemble des muscles du tronc : abdominaux, paravertébraux, pectoraux et fixateurs des omoplates, et de muscles du bassin tels que les psoas.
Dans la description des mécanismes dont nous avons besoin en escalade pour nous « mouvoir » à la verticale et au-delà de la verticalité décrit plus haut, nous mentionnions la fonction de transmission de force ET de mobilité. Le tronc ne doit donc pas se transformer en un « tronc d’arbre » indestructible mais incapable de la moindre mobilité.
Lorsqu’on cherche à développer les capacités de contractilité d’un muscle, pour augmenter sa force, sa capacité à se contracter, plus fort, plus longtemps, il faut veiller à ce que cela ne se fasse pas au détriment de son extensibilité et de son élasticité. Or, le travail de renforcement musculaire essentiellement effectué en concentrique et en isométrique ne donne qu’une seule information au muscle : celle de se raccourcir. Jamais celle de s’allonger. De plus, ce type de travail musculaire a une incidence sur les tissus conjonctifs en périphérie du muscle en les densifiant, ce qui réduit  également leur mobilité.

Il sera donc toujours préférable de privilégier un travail en gainage dynamique plus proche de la physiologie et de notre activité. Nous vous proposerons des exemples d’exercices dans un prochain article.

 

gainage-ying-yang-mobilit

 

Bienfaits du gainage :

- Meilleure transmission des forces entre les membres supérieurs et les membres inférieurs (dans un sens comme dans l’autre)

Méfaits du gainage :

- Réduction de la mobilité du tronc d’où limitation des amplitudes entre les ceintures pelviennes et scapulaires

- Densification des tissus conjonctifs

- Perturbation possible de la mobilité de la paroi abdominale, de la cinétique respiratoire et du transit intestinal, sans parler, par une modification posturale, de l’augmentation possible des contraintes sur le périnée et ses incidences.

- Augmentation des contraintes en compression cranio-caudales sur le rachis, pouvant à terme provoquer des douleurs rachidiennes.

 

Lorsque vous envisagerez de mettre en place un travail de gainage, il faudra donc intégrer un travail systématique de « dégainage » sollicitant l’extensibilité des différents maillons des chaînes cinétiques ainsi que de l’extensibilité globale de ces chaînes. Nous vous proposerons une séance type dans un prochain article.

Notre activité sollicitant naturellement les différentes chaînes musculaires du tronc en tendant vers le renforcement (sollicitation contractile), même si vous ne suivez pas un entraînement structuré et que vous ne pratiquez pas d’exercices de renforcement musculaire spécifiques, pensez à pratiquer tout de même régulièrement des séances de « dégainage ». Cela vous préviendra de divers maux et ne pourra qu’être bénéfique pour votre pratique puisque cela entretiendra votre mobilité : vous forcerez donc moins pour aller chercher les prises.